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VIGILANCE RDC
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19 novembre 2007

Congo, la tragédie oubliée

Des milliers de personnes vivent, entassées, dans des camps de réfugiés. (Eric Dessons/JDD) Sur le même sujet Notre reportage photo exclusif en RDC Hutus et Tutsis, un drame sans fin "Le Nord-Kivu ? Faut faire attention là-bas, c'est vraiment le bordel !" A l'aéroport de Kinshasa, dans la chaleur moite de la nuit équatoriale, l'homme d'affaires congolais, rompu aux convulsions politiques de son pays, tient à prodiguer ses derniers conseils. Le "bordel" ? Doux euphémisme pour résumer la guerre qui déchire depuis de long mois cette province montagneuse de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), bordée par le Rwanda et l'Ouganda. Toutes les ONG présentes sur place ont tiré la sonnette d'alarme à de multiples reprises. Sans résultat. Pis, depuis la fin du mois d'août et la reprise des combats entre l'armée régulière et les troupes du général rebelle Laurent Nkunda, la situation ne fait qu'empirer. Une tragédie oubliée. Un conflit dans ce qu'il a de pire, avec ses exécutions sommaires, ces centaines de milliers de déplacés, sa situation sanitaire catastrophique. Et ces viols à grande échelle. "La guerre, on a fini par en faire notre affaire. Quand j'y pense, je n'ai jamais vraiment connu la paix." Allongée sur son lit à l'hôpital Docs Heal Africa, de Goma, capitale glauque de cette province maudite, Mulwa est l'une de ses anonymes de la guerre du Kivu. Enveloppée dans un drap carmin et doré, elle est arrivée il y a un mois de son village près de Walikale, dans l'Ouest. Pour une opération urgente : reconstruire son vagin après un viol collectif. Difficile pour elle de se confier, de livrer les détails de cette barbarie. Surtout quand on a 13 ans, et que la douleur ravage un bas-ventre tout juste opéré. Alors son histoire, l'adolescente la chuchote, dans le sombre dortoir où pendent quelques moustiquaires : "C'était un soir en septembre. Ils étaient cinq, en tenue militaire. Je suis tombée dans leur embuscade alors que je venais récupérer le corps de mon frère qui venait de se faire tuer." "Les assaillants" lui demandent alors de se déshabiller. Un coup de crosse dans le dos l'y oblige. Elle est traînée jusqu'au milieu du village, à quelques mètres du cadavre de son frère. "Je ne sais pas si les cinq m'ont violé" "Un premier militaire s'est mis sur moi. J'ai ressenti beaucoup de douleur car c'était la première fois que je connaissais les hommes." Ensuite, les souvenirs de Mulwa se brouillent. Ne subsistent que des images. Les ténèbres de la nuit et la main du bourreau qui étouffe ses cris. "Le contentement" qu'elle lit sur son visage. Les chants des quatre autres qui lui maintiennent les jambes écartées. Puis le second violeur, le troisième. La douleur, et le sang qui coule de son sexe. Les vertiges. L'évanouissement, enfin. "Je ne sais pas si les cinq m'ont violé... Je crois que oui", murmure-t-elle en agrippant le vieux blouson qui lui sert d'oreiller. Mulwa n'en dira pas plus. Une infirmière surgit qui vient changer sa couche. Un supplice, l'adolescente s'effondre en larmes. A Docs Heal Africa, le drame de Mulwa n'a rien d'exceptionnel. Un temps, les autres patientes l'ont écoutée raconter son supplice, sans s'étonner, avant de retourner vers leur propre souffrance. Car chacune ici a vécu l'enfer. Fatoumaté, l'infirmière, a eu le ventre transpercé par une machette alors qu'elle était enceinte de six mois. Lucie-Elisabeth, 60 ans, a, quant à elle, été violée pendant plusieurs jours par sept guerriers Maï Maï. Ou encore Mayala, 17 ans, et son petit King âgé de deux semaines, à qui elle donne le sein, le regard perdu dans le vide : l'enfant d'un viol, perpétré à Rutshuru, à une soixantaine de kilomètres au nord de Goma, par quatre "militaires qui parlaient rwandais". Dans le conflit du Nord-Kivu, le viol est une arme. "Un moyen de se venger", explique Jo Lusi, charismatique directeur de l'hôpital Docs. Son institution est l'une des seules de la région à réparer l'irréparable. Mais elle soigne aussi les autres victimes de la tragédie. Les grands blessés notamment, comme Devota, une adolescente discrète, qui se déplace à l'aide de deux grandes béquilles en bois. Elle est arrivée en août de Rutshuru, le bassin fracassé par une balle alors qu'elle tentait de fuir des combats. La jeune fille est restée plusieurs heures inconsciente le long d'une route, avant d'être ramassée par une équipe de Médecins sans frontières. Elle attend depuis son opération. Seule. Sans savoir si ses parents sont encore vivants. Ici au moins, elle trouve un peu de réconfort. Un bref répit qui ne durera pas. Au dehors, dans Goma pourtant épargnée par les combats, règne une ambiance lourde. La vacance du pouvoir est patente, malgré ces patrouilles des forces armées congolaises (FARDC) qui sillonnent les rues défoncées et boueuses. Et malgré les troupes de la mission des Nations unies au Congo (Monuc), chargées de maintenir un semblant de paix dans la région. L'odeur de la guerre est là, toute proche. Officiellement pourtant, il n'y a plus de conflit en RDC. L'année dernière, des élections historiques ont couronné Laurent Kabila qui a garanti la restauration de l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire. Vaine promesse. Au Nord-Kivu, son armée ne contrôle qu'une partie du territoire. Le reste est notamment sous la domination des quelque 4.000 hommes de Laurent Nkunda, qui se pose en défenseur de la minorité tutsie. Laquelle, selon lui, est menacée par les miliciens des Forces de libération du Rwanda (FDLR), les anciens génocidaires réfugiés dans la région depuis 1994. Des milliers de déplacés Chaque groupe armé se partage les 60.000 km² du Nord-Kivu, riche en ressources minières, tout en s'affrontant sporadiquement. Au gré de leurs besoins, ils investissent les villages, tuent, pillent, emmènent les enfants pour les enrôler de force. Terrorisés, les civils fuient désormais au moindre coup de feu. Depuis le début de l'année, entre 370.000 et un demi-million de personnes ont ainsi quitté leur village. "70 % d'entre eux ont été accueillis par de la famille. Le reste vit en brousse ou se concentre dans des camps", commente Patrick Lavand'homme, membre du bureau de coordination des affaires humanitaires pour l'ONU. A Mugunga, une localité à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Goma, 60.000 déplacés se sont répartis sur cinq sites. Dans le dénuement le plus total. La palme de l'horreur revient au lac Vert, un camp sauvage qui empiète sur les premières collines du parc national des Virunga, le poumon du Nord-Kivu. Depuis dix jours, le Haut-Commissariat aux réfugiés a entrepris de fermer le site. Pour l'heure, 7.000 personnes s'entassent encore sur ces 6,5 hectares de forêt éparse. Une véritable armée de fantômes qui déambulent entre des centaines de huttes, taudis minuscules faits de branchages recouverts de paille. S'enfoncer plus profondément dans ce camp s'apparente à une descente aux enfers. "Les latrines ont débordé", s'alarme Claude, le "président" du comité des déplacés, montrant une immense mare noirâtre d'où se dégage une odeur insoutenable. Un peu plus loin, une vieille grand-mère à bout de forces exhibe une plaie purulente à la jambe qu'elle tamponne avec un morceau de son boubou. Des gamins en haillons traînent pieds nus autour de cendres encore fumantes. Ils quémandent un savon, de la nourriture, une bâche en plastique pour protéger leurs habitations des averses violentes qui s'abattent sur la région. Tout manque. L'eau notamment. Les réfugiés vont se servir au lac à quelques centaines de mètres, au risque d'être contaminés. Depuis deux mois, plus de 400 cas de choléra ont été diagnostiqués dans la zone de Mugunga. "Nous mourrons. Nous n'avons rien à manger. Il faut faire quelque chose", supplie un père de famille. "Regardez où je vis", explique un autre en soulevant le maigre bout de tissu qui fait office de porte à sa tanière. A l'intérieur, une natte posée sur un tapis de paille, quelques gamelles, des vêtements sales. "C'est tout ce nous avons pu sauver lorsque nous avons fui", explique-t-il. Des zones difficiles d'accès Pour survivre, c'est la débrouille. "On a d'abord coupé du bois de chauffage dans le parc pour le revendre sur les marchés", explique Claude. Mais le parc est protégé. Alors, les exilés se rabattent sur des petits trafics, notamment lors de la distribution de l'aide alimentaire. Rares sont ceux qui, comme Clément, retournent périodiquement cultiver leur champ. La dernière fois, ce père de sept enfants a trouvé des soldats congolais à son domicile, situé à quelques kilomètres de Mugunga. Pour faire du feu, ils avaient détruit portes, chaises et lits. Clément n'a rien dit. Trop peur. Payés une poignée de dollars, peu formés, ces militaires sont aussi capables de commettre viols et exactions. Au Nord-Kivu, plus personne ne peut aujourd'hui se sentir en sécurité. Mardi, une attaque des Nkundistes à quelques kilomètres de Mugunga a semé la panique chez les réfugiés des camps. En deux heures, 30.000 déplacés ont repris la route en direction de Goma. "80 % d'entre eux sont revenus, indique Jens Hesemann du HCR. Le problème est qu'entre-temps, leurs camps ont été pillés. Les 7.000 bâches que nous venions de distribuer ont disparu." Malgré tout, Mugunga n'est pas l'endroit le plus mal loti du Nord-Kivu. Des dizaines de camps de la province n'ont pas la chance d'être ravitaillés. "Certaines zones sont très difficilement accessibles", reconnaît Patrick Lavand'homme. Dans le Nord-Est, où sévit une épidémie de rougeole, l'aide alimentaire peine à arriver. "Nous sommes débordés par l'ampleur de cette crise", admet un responsable de MSF. Beaucoup d'observateurs internationaux redoutent d'ailleurs qu'elle ne s'inscrive dans la durée. Surtout, l'intransigeance du président Kabila à l'égard de Laurent Nkunda laisse craindre une offensive de grande ampleur. "Ce serait un véritable désastre", estime Patrick Lavand'homme. Alors, on s'accroche à quelques motifs d'espoir. Comme cet accord passé la semaine passée entre le Rwanda et la RDC pour un désarmement des rebelles hutus du FDLR. Ou l'implication récente des Etats-Unis pour un règlement du conflit. "C'est un tel gâchis, notre région est si riche", regrette Jo Lusi, le directeur de l'hôpital Docs. "Nous pourrions faire des choses exceptionnelles ici", s'enthousiasme-t-il. Avant finalement de se résigner. "Le problème, c'est qu'au Congo, nous sommes dans la permanence du malheur." Allez plus loin et découvrez en intégralité le Journal Du Dimanche en version PDF.
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